
La cocaïne : son évolution sociale
Les Incas
On a pour coutume de rapporter l’utilisation de la coca à la civilisation inca. Son usage s’avère en réalité bien antérieur. Ainsi, le peuple Aymara, qui vivait au croisement de la Bolivie, du Pérou et du Chili, l’avait découverte il y a plus de 2000 ans, bien avant l’invasion inca.
Quand à la période inca, elle a favorisé l’apparition de légendes concernant la coca, mentionnant systématiquement son caractère divin.
La feuille est considérée comme un intermédiaire pour communiquer avec les dieux. Le sujet porte à sa bouche quelques feuilles de coca et de petits fragments d’une substance alcaline, de la cendre, de la chaux vive par exemple, puis forme une boule simplement maintenue entre la gencive et la joue, afin d’en extraire lentement le suc des feuilles : pas plus de 4h sinon la feuille devient amère, mais pas moins afin de respecter la « diosa coca » autrement dit la « déesse coca ».
Mâcher de la coca leur permet d’accroître leur endurance au travail, combattre la faim, la fatigue, le sommeil, augmente la résistance au froid, et est aussi utilisée en cas de maladie ou d’accident physique. Un cocaïste moyen mâche 50g de coca par jour.
L’utilisation dans la médecine
A la fin du XIXeme siècle, l’utilisation de la cocaïne devient un maître-signifiant en pharmacologie. Une simple application locale autorise les interventions chirurgicales les plus complexes et les plus longues sur un sujet lucide, les allergies les plus rebelles peuvent être soulagées.
Voici le résumé des applications thérapeutiques de la cocaïne :
- Comme stimulant lorsqu'un travail physique ou mental supplémentaire est requis
- Dans le cas d’indigestion
- Dans la cachexie ( état d’affaiblissemnt extrème du corps généralement lié à la phase terminale de certaines maladies )
- Pour combattre les effets de la morphine et de l’alcool
- Dans le traitement de l’asthme
- Comme aphrodisiaque
- Comme anesthésique local
Si beaucoup de préparations à base de coca et de cocaïne ont disparu sans laisser de traces en Europe, il ne faut pas oublier que les peuples andins en font encore une grande utilisation dans leur médecine traditionnelle :
- Gargarisme analgésique
- Boulettes de cocaïne contre le mal de dents à mettre dans la dent creuse
- Collyre antiseptique à la cocaïne à badigeonner entre les paupières
- Infusions ou emplâtres à base de 100 feuilles de coca à appliquer sur des rhumatismes
- Infusions pour maladies de la gorge
- Cataplasme à appliquer sur des fractures des membres
Le sniff et sa popularisation
Durant la dernière décennie du XIXeme siècle aux Etats-Unis, où l’on continuait à s’injecter de la cocaïne ou à l’ajouter aux boissons alcoolisées, un procédé de consommation plus simple et plus efficace fut découvert : il consistait à en priser la poudre. C’est ainsi que le grand publique découvrit très vite les propriétés stimulantes et euphorisantes de la cocaïne. Elle fut baptisée « drogue du plaisir ». Aux Etats-Unis, les barmans ajoutaient sur demande de la cocaïne au whisky et les colporteurs en vendaient de porte à porte. La cocaïne se commandait sous ordonnance, mais alors connue comme remède contre le rhume, il était très facile de s’en procurer.
Cette « période d’or » de la cocaïne va s’étendre jusqu’en 1930 où son utilisation massive et abusive provoquera un véritable malaise dans la société américaine. En effet au début du XXeme siècle, la cocaïne était souvent associée aux noirs, aux juifs, aux soldats trop volubiles, et aux prostituées, faisant naître des mouvement racistes en Amérique. En 1904 l’état de Géorgie signalait dans « Commitee on the Acquirement of the Drug Habit » que « les Noirs, les pauvres et les criminels sont naturellement les plus portés à consommer de la cocaïne ».
Ainsi, tout comme l’opium a été associé aux Chinois au moment où l’on en interdit l’usage, la cocaïne fut associée aux Noirs. La peur du « Noir sous cocaïne » sera à l’origine de la grotesque et sinistre légende qui prétendait que, grâce à la cocaïne, ils devenaient insensibles aux balles de révolver !
Face à une cocaïnomanie de plus en plus répandue, la presse, les pouvoirs publiques et le monde scientifique amèneront à voter des lois, aussi bien en Europe qu’aux USA, qui placeront définitivement dans l’illégalité l’usage de la cocaïne et de la feuille de coca.
En 1922, l’importation de cocaïne ainsi que celle des feuilles de coca fut prohibée par le Congrès américain qui la définit pour la première fois comme « narcotique ». En 1951, le délit de possession fut obligatoirement assorti d’une peine d’emprisonnement. Au Etats-Unis, c’est en 1914 que le "Harrison Narcotic Act" pour refréner l’abus de l’opium, de la morphine et de la cocaïne en société fut adopté par le Congrès, et en 1970 pour l’usage personnel.
Une nouvelle carrière pour la cocaïne
Le décret d’Harrison fit disparaître la cocaïne pendant 15ans. On la retrouva alors chez les couches les plus riches de la population. La transformation progressive des valeurs qui ont marqué les années 60-70 contribua à l'explosion de son offre et de sa demande: le déclin du mouvement hippy est bien avancé, et la société tourne le dos à la période "baba cool" qui favorisait l'acide lysergique 25 _aussi appelé LSD_ et adopte des valeurs radicalement opposées. La tendance se porte à nouveau vers l'insertion et l'ascension sociales: il faut donc être compétitif pour réussir. La cocaïne et le sentiment de confiance en soi et d'invincibilité qu'elle peut apporter conviennent donc parfaitement aux jeunes cadres, professeurs, hommes d'affaires et souteneurs à la recherche de produits excitants.
Dès 1970, les consommateurs appartiennent à des groupes dits "marginaux" ou privilégiés. Le grand publique commence à entendre parler de la cocaïne par la rumeur que propage la presse à propos de l'usage qu'en font quelques vedettes du spectacles et du sport. C'est ainsi que l'usage "récréatif" ou "performant" de la cocaïne permet sa popularisation.
Une nouvelle carrière commence alors pour la cocaïne. Appelée "poudre des vedettes", "poussière d'or", "la drogue des riches", ou encore "la drogue des souteneurs", la cocaïne est présentée sous un profil attirant voir même inoffensif. Les médias tels que New York Times Magazine, Play Boy, ou Rolling Stones eux aussi en font bonne presse: certains artistes interviewés vont jusqu'à la qualifier de "panacée temporaire" ou de "vitamine C". Ainsi, l'imitation, l'effet de mode contribuent à faire de la cocaïne une drogue très prisée.